Depuis la parution de Regarde‐moi en 2011, Zaza Fournier ne s’est pas reposée sur ses lauriers. Ce n’est pas le genre de la maison. Vivement, elle a réfléchi. En artiste de son temps. D’abord sur la forme. Elle a créé « les conditions de sa liberté artistique » en s’exemptant des obligations commerciales qui accompagnent la fabrication d’un disque, « aujourd’hui presque une chimère» tant les à côtés encombrent l’essentiel. Et puisque c’est une femme de scène, qui n’aime rien tant que de promener son accordéon sur les planches, elle a demandé à son tourneur, Le Rat des Villes, de produire le disque,« Ainsi, dit‐elle, j’ai retrouvé la vérité du discours »en partenariat avec un label très indépendant, Verycords. Il y a chez Zaza Fournier une part « non négociable » avec laquelle elle a dû renouer pendant ces quatre ans émaillés de succès ‐ « Le titre Vodka Fraise a été l’un des plus joués sur Radio France, il y a eu l’Olympia, une création pour les Francofolies, et plein de dates à l’étranger.
J’ai été une enfant gâtée, débarquée dans la chanson par hasard à 23 ans. Or, le confort est l’ennemi de la création». Alors Zaza, chanteuse à la voix chaude et à l’accordéon précis, a tout bousculé, sur le fond aussi. Pour Le Départ, elle a changé une partie de son équipe artistique ‐ les guitares de Nico Bogue, la batterie de Raphaël Seguinier, le mixage de Jack Lahana sont toujours là. Mais elle a recruté le musicien et réalisateur britannique MaJiker, pianiste, champion du « body percussion » aérien et du « beatbox » exact. Il sera son interlocuteur unique dans la tournée qui commence en avril."J'ai un vrai désir, qui s'impose comme une évidence avec ce projet, de renouer avec le théâtre sur scène, de créer des passerelles, chaque chanson est une histoire, un tableau, un climat."
Zaza Fournier pourrait être étiquetée « chanteuse française », et l’est d’ailleurs par un public friand d’identité marquée, au Brésil, au Japon, en Ukraine... Elle a un petit rien de la tradition réaliste parisienne, car elle est physique, dans les mots qu’elle utilise et dans son jeu de scène, sa recherche de sonorités la place pourtant dans une catégorie de jeunes contemporains qui fluctuent entre l’IPod et le vintage. MaJiKer est tombé à pic, « je cherchais quelqu'un qui m'emmène vers un travail sur le rythme et la voix, quelqu'un avec qui chercher, essayer, jouer, on n'avait peur de rien, c'était très ludique." Les mélodies déliées, qu'on se surprend à reprendre, sont organisées autour d’un travail au scalpel sur les instruments, le ukulélé (Paupières closes), l’omnichord (les filles), le piano (Hôtel des acacias) son accordéon Cavagnolo, « ce compagnon qui pèse lourd » et « les objets trouvés », fleurs, poubelles, verres, sel et poivre, mètre de couture… dont MaJiKer et Zaza font un discret festin.
Les mots de Zaza ne s’embarrassent pas de métaphores et de doubles sens. Elle veut partir, elle le dit : « Ne plus jamais voir l’église, et ses arbres noueux, ces vieilles façades grises, le café malheureux qui nous toisent » (Le Départ). Elle veut qu’on l’aime, elle dit qu’elle veut faire l’amour (Paresse) quand elle écrit qu’avoir 16 ans, c’est galère, et qu’on ne s’en sort qu’en rêvant positivement, elle appuie où cela fait mal (« Quand elle s’habille, elle a dans la tête les regards de l’école ceux des autres filles qui tiennent la gâchette »). Zaza, c’est du vécu distancié, un regard incarné.
Née à Paris, grandie dans l’Oise, étudiante en théâtre, Zaza Fournier, auteur, compositeur, interprète, a étudié le violon avant d’empoigner un accordéon à l’âge de 19 ans. Sa carrière de chanteuse commence par hasard : sommée par son professeur de théâtre d’improviser sur un thème bateau mais fondamental (« Qu’est‐ce qu’un homme, qu’est‐ce qu’une femme ? »), elle lui chante une chanson qu’elle vient de co‐écrire pour le plaisir avec sa tante, La vie à deux.
Dix ans plus tard, la question est toujours à l’ordre du jour. « Parfois, je ne sais pas si je suis fille ou garçon, dit cette jeune mère de famille aux cheveux clairs, au port de sultan, au ronronnement de chat et à la patte de tigre. Où est la frontière ? Dans mes chansons, je lève le rideau, et l’on peut voir tous les êtres qui cohabitent avec moi, car j’ai le droit d’être multiple, en mouvement, alors que l’on nous demande d’être défini ». Alors Zaza fantasme, prend le large, elle veut être un garçon, traîner dans les bars sans être emmerdée, pourvoir mater les filles, se battre et garder les ongles noirs. Boire des whiskies glaçons, larguer les odeurs de moisi de L’Hôtel des Acacias. Elle organise des départs et des ailleurs. « Je prends mes chansons au corps, je ne joue pas un personnage». Pour Regarde Moi, Zaza avait écouté l’intégrale des chansons de Roy Orbison (1936‐1988), l’auteur de Blue Bayou. A une époque où peut‐être, elle eut envie de jouer de la guitare électrique, elle avait flirté avec le twist et le doo‐wap. Pour Le Départ, ce fut une révision des musiques du monde, jeune génération, du blues sahélien de Tinariwen à l’électronique de l’indo britannique M.I.A ou au folk canadien de Timber Timbre, « pour renouer avec le plaisir naïf de l’écoute et l’ouverture». Alors, sa Java des imposteurs est implacablement sèche et colorée, gaillardement chantée en duo avec un dur, un vrai : l’aimable Féfé, né de parents nigérians à Clichy‐la‐Garenne et co‐fondateur du groupe de rap Saïan Supa Crew. Voici en 14 titres (car il y a 2 bonus), une redéfinition singulière du savoir‐faire Français.